Vague de froid sur tout le pays, gel durable : voilà des conditions motivantes pour une belle virée dans les Vôges, et rejoindre Lénine et les copains de l'Amicale !
S'équiper dans l'esprit du millefeuilles : multiplication des strates, pas trop épaisses, afin de conserver des couches d'air, lequel reste l'isolant principal. De nos jours, pour pas bien cher on trouve des polaires fines qui conviennent parfaitement, en sous-pull mais aussi pour les jambes.
Un gilet polaire est un bon complément pour ajouter une épaisseur au torse, sans engoncer les bras. Un dernier truc auquel penser par grand froid, synonyme d'air sec : le tube gras de soin à lèvres et une crème pour les parties exposées du visage, pour éviter de donner corps à l'expression "peler de froid".
Paris s'éveille par -7°C, dixit la météo. Je ne vais probablement pas croiser beaucoup de motards ! Il fait très beau en revanche, je suis bien couvert, j'ai du café chaud dans mon thermos : le Ranger et moi prenons la route avec entrain. Au sortir de la région parisienne, le rythme s'établit autour de 75 km/h, constants à travers la Brie gelée et malgré un vent d'Est contraire et glacial.
Sans les changements de rythme de la zone urbaine, l'activité du motard diminue et le froid s'installe à cour. Je force donc des arrêts réguliers en bord de route, arrosés de café bien chaud, et propices à recouvrer un peu de chaleur aux extrémités.
Certains commerces, souvent des pharmacies, ajoutent à leur enseigne un affichage tournant avec la date, l'heure, la température : les trois que je croise sur le parcours annoncent unanimement -5°C en pleine journée. Dans la région de Bourbonne-les-Bains, je ne lis aucune indication, mais je perçois nettement un regain de froid confirmé par le givre omniprésent. L'arrivée dans les Vosges marquera un mieux, car le vent tombe.
Avec le café ingurgité, je me suis coupé l'appétit, je n'ai pas marqué d'arrêt pour déjeuner et j'arrive après 7h de route, à temps pour monter ma tente à la lumière du jour à côté de celle de Gégé. Le froid est vif ici près du chalet de Lénine, on est aussi plus en altitude, et monter la canadienne me coûte des efforts inhabituels.
Ceci fait, je reprends l'Oural dans l'idée de rejoindre les Amicalistes annoncés en visite à la distillerie Lecomte Blaise à Nol. Remettre les gants et la cagoule est désagréable, l'humidité s'y est transformée en glace. Au niveau du nez, la cagoule rigide revient souple après quelques secondes au contact du visage, mais dès que je reprends la route elle gèle à nouveau !
Nol est à 12 km de Remiremont, à l'est via Le Syndicat : malgré ce repérage je ne trouve aucune indication routière pour m'aider et, après avoir tournicoté, je remonte vers la Ferme aux Moineaux où tout le monde se rassemble pour dîner. La plupart y resteront dormir (en sus de sa ferme, P'tit Dom y propose un gîte de belle capacité d'accueil).
Richard, cuistot de profession, nous concocte une revigorante soupe à l'oignon suivie de pâtes à la carbonara; c'est du beau boulot car il y a tout de même à nourrir une trentaine de bouches mises en appétit par le froid.
Et de la route et du froid, certains en ont bouffé une sacrée dose, notamment Dom ("le Matou") arrivant de Bordeaux soit plus de 800km, ou encore "l'Ours" à plus de 700 !
Mention spéciale pour Michel, arrivé tracté par Bruno : sa machine a renoncé au pied de la dernière côte...
Samedi au réveil, ma canadienne rigidifiée par le froid fait un bruit de papier kraft, et même dans la gourde isotherme à l'intérieur de la tente l'eau a totalement gelé. Lénine a un thermomètre numérique qui annonce -16°C (pas loin de l'homologation congélateur 3 étoiles, à -18°C). J'ai réussi à dormir, mais par intermittences malgré mes deux sacs de couchage et une chaufferette au fond pour les pieds : on a beau se couvrir, l'air respiré reste glacial !
La matinée est consacrée à l'accueil des arrivants du samedi, aux photos des machines (plus de 20 sides et 4 ou 5 solos), et aux courses pour les prochains repas qui sont prévus "tirés du panier", avec tout de même un barbecue pour cuire des grillades. On ne s'attarde pas sur le repas du midi, car Lénine bouge tout le monde pour un départ à 14 h pétantes.
Il passe des consignes de sécurité en annonçant un parcours via les zones d'hivernage, c'est-à-dire celles qui gèlent en début d'hiver et restent gelées jusqu'au sortir; il recommande l'emport de cordes pour certains passages. Dès qu'il tourne le dos, on se concerte pour savoir si vraiment on a envie d'y aller...
La ballade est typique de notre Amicale : au bout d'une demi-heure, on n'a pas encore dépassé le Cora de Remiremont; soit environ 3km parcourus. On a avancé par soubresauts; entre les aléas de la mécanique, les retards, les égarés, ceux qui doivent faire le plein...
Heureusement le rythme s'améliore une fois sortis de Remiremont en direction du Val d'Ajol, le paysage ensoleillé est magnifique et les routes forestières bien sèches sont roulantes sans difficulté.
Nous visitons à Fougerolles la ferme Jechoux "La Marandine" qui nous offre un accueil mémorable. La visite de la ferme est l'occasion de découvrir le pied de chèvre, une échelle en bois à un seul mât et large pied, de 8 à 15 mètres de haut, plus facile à caler dans les arbres qu'une échelle à deux mâts, et utilisée pour la cueillette de fruits, en particulier la guigne (cerise utilisée pour le kirsch, la pâtisserie...).
La ferme produit du lait et de la viande bovine; nous visitons les étables et assistons à une séance d'un savoir-faire particulier : endormir sur le dos, pattes en l'air, un lapin bien éveillé voire même agité par notre présence en nombre, et ce par simples manipulations douces et fermes !
Nous sommes ensuite invités à entrer dans le sous-sol de la maison, où une grande tablée nous attend avec une belle variété de produits du terroir : des canapés de terrines, de rillettes et de munster, des saucisses chaudes, des pains aux fruits, des beignets, des tartines de confitures, des griottines et j'en oublie... tout ça arrosé d'un excellent vin chaud et de café en quantité suffisante pour tout notre groupe !
Après la dégustation on achète quelques spécialités histoire de prolonger le plaisir, photo de groupe et on s'apprête à partir mais après quelques recherches puis une séance de bricolage électrique, pour une clé de contact égarée.
Des passages verglacés rendent le retour plus délicat par les petites routes de la forêt, mais tout se passe bien et nous retrouvons le gîte de la Ferme aux Moineaux, où les Epinettes des Vosges vont jouer pour accompagner notre dîner.
Le contraste entre l'intérieur du gîte et le froid au-dehors est prenant; la mousse de bière y gèle quasi-instantanément et en quelques minutes des paillettes croustillantes se forment dans le liquide. La vodka en revanche tient très bien, il faut juste faire attention à ne pas laisser ses lèvres coller sur le bord du quart en aluminium. Dans ces conditions, se brûler les doigts avec des grillades bien chaudes est un vrai plaisir !
Le dimanche matin a lieu tout un ballet de "poussettes" pour démarrer les machines réticentes, aux blocs figés par le froid et aux batteries trop gelées. Les russes restent celles qui démarrent le mieux dans ces conditions, grâce à leur faible compression, leurs jeux importants et leurs kicks permettant de décoller le bloc sans solliciter le démarreur.
Je dois sortir les outils, non pas pour mon Oural qui démarre impeccablement, mais pour arracher les sardines figées dans le sol après cette seconde nuit sous tente : il faut les faire tourner avec un démonte-pneu en guise de levier pour les décoller du gel, puis tirer avec une pince. Ne pas attraper la tête de sardine, le froid la fait coller aux doigts instantanément.
Après un bon petit-déjeuner et la tournée des adieux, je reprends la route avec l'espoir que le sens favorable du vent diminue la sensation de froid. Il ne fallait pas rêver, j'ai autant froid qu'à l'aller voire plus, probablement à cause de la fatigue et de l'accumulation de l'exposition au froid. Mais qu'est-ce que je fiche ici ? Il va me falloir un bout de temps avant que l'envie de rouler par un temps pareil me reprenne !
De près en près, je reconnais mes repères de la route qui jalonnent les kilomètres grignotés vers la douceur du foyer, chaque petite victoire de plus en plus familière me rapproche. Jusqu'à ce que, j'ai du mal à y croire, mon Oural se laisse glisser au bas de la rampe du parking tellement glacial pour mes voisins, tellement doux et chaud pour nous deux.