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2 Mémés dans le vent

Deux BMW R12 de 1937 et 1939 transformées en side-cars arpentent les
pays de l'Est sur près de 18 000 kilomètres. On les retrouve entre
Novossibirsk et Moscou.

 

 

Cette page est dédiée à la mémoire de Jean-Pierre, disparu accidentellement en 2005

Quand on perd un ami
C'est peut-être qu'il dort
Dans un autre univers
De gel et de bois mort
Dans un autre décor
Simplement affaibli
Quand on perd un ami
Son âme se décolle
Comme un papier jauni
Papyrus d'école
C'est que l'on a grandi
Quand on perd un ami
De la lumière subsiste
Comme dans un tamis
Après que le cambiste
Ait déserté la salle
Quand on perd un ami
Chacun a fait sa part
Dans le jour indolore
Et dans l'air inodore
Repose sur le pourpre

Entouré des siens
Et pas même un chien
Pour lécher sa paume
Son bras recourbé
Quand un ami s'en va
Disparaît de son lit
Par de nouveaux sherpas
Pour de nouveaux pays
Peut-être n'est ce pas
Ce qu'on nous a dit
Si là-bas il fait froid
Comme il le fait ici
Quand on perd un ami
Qui le découvrira ?
Fakir embaumé
Transpercé de pointes
Et lorsque le jour pointe
Pas même un drap
Pour cacher ses yeux
Quand un ami s'en va

"Quand on perd un ami" paroles & musique : Gérard Manset - 2004

Prologue
Nous sommes deux BMW R12 de 1939 et 1937 avec deux particularités :
d'abord, nous sommes attelées. Transformées en side-cars, nous avons parcouru environ 18 000 km. Parties le 19 mai de Moto Légende, nous avons traversé, l'Italie, la Slovénie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Turquie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, la Tchéquie et l'Allemagne pour retourner dans nos garages respectifs le 16 mai. Ensuite, nos motards sont français. Eric - le pape de la R12 - et Jean-Pierre - l'aventurier du Vercors - nous ont redonné vie et nous, motos allemandes, apprécions depuis la conduite française qui sait conjuguer la détermination, la précision et l'imprévu. Avoir des partenaires qui tiennent la route, c'est essentiel pour nous, machines conçues pour durer une éternité !

Recommandation des auteurs : lire ces lignes en écoutant un cocktail acoustique de Gérard Manset et de Neil Young...

Nous entrerons dans le vif du sujet à compter de Novossibirsk et nous en sortirons 3 500 km plus loin à Moscou. Pourquoi ? Tout simplement parce que le 18 juillet à l'aéroport nous avons récupéré deux comparses pour occuper les sides et qu'ils sont descendus au Kremlin.
Si après ces quelques lignes vous en redemandez, on pourra vous parler du reste, y compris notre an 2000 à Katmandou !

Avec le temps, on ne prête guère attention à son image. Moralité, notre coté sombre genre Seconde Guerre mondiale est complètement oublié sur la route. En effet, qui n'a pas fait l'expérience du "blanc c'est bien, mais c'est salissant" ?

Perdue dans le fin-fond, Irbit est là, sous le point rouge !

Don aimable de Thierry

18 juillet
Il a plu toute la nuit. Heureusement, les nuits sont courtes durant cette période en Sibérie ! Bon, nous sommes dans un drôle d'état vu l'état des routes de l'Asie centrale, mais nous supportons mieux le choc que nos motards, qui ont mal dormi dans un abri pas complètement imperméable. Ouf, les 2 Marseillais sont à l'heure à l'aéroport !
Heureusement ils ne sont pas chargés car les kilos en trop, ça compte aussi pour un side... Il suffit de démarrer pour que le temps se mette au beau. Les esprits de la route veillent sur nous. Nous avons bien rempli la journée et il faut penser à se poser quelque part. Comme d'habitude, le premier chemin de traverse et c'est la gadoue.

Quel rodéo sur la piste ! Attention les crevasses car à la moindre erreur on s'embourbe - et dans ce cas de figure nous craignons plus la surchauffe de moteur que la boue sur les chaussures des passagers obligés de pousser. Les gens du hameau et leurs animaux nous regardent : nous sommes un spectacle inhabituel car à part le transsibérien, le coin ne connaît pas beaucoup d'animations. Après tout, nous sommes bien perçues puisque nous sommes invitées dans une coopérative dans la cabane du gardien.

19 juillet

Il pleut mais tout le monde à bonne mine. Une bonne nuit dans une maison chauffée, c'est bon pour le pilote, donc c'est bon pour la mécanique qui ne subit pas les sautes d'humeur. On roule vers Omsk.
C'est immense et changeant. Nos petits réservoirs obligent une halte station-service environ tous les 200 km. Le cérémonial de la pompe à essence vaut son pesant de roubles. Il faut payer - comme toute opération ici - avant de recevoir le service. Face à la monotonie des lieux, nous regrettons notre petite moyenne (50 km/h). Heureusement que nous sommes insensibles aux moustiques, car cette étape sous la tente est une véritable initiation pour les newscommers.

20 juillet
Il fait très chaud. Pour nous, l'entrée dans les grandes villes est toujours pénible même le dimanche. La circulation, ce n'est pas bon pour nos boites de vitesse. Heureusement les motards le savent. On se pose prés du marché local et c'est l'attroupement habituel. Idem dans le centre-ville. Ici le rêve américain est de rigueur et les choppers et leurs bikers de l'Est sont au rendez-vous.

Nous entrons en contact. Cool, ils nous invitent à dormir chez eux. Garage avec les Oural pour nous, sauna et vodka pour le quatuor de Franjuski. C'est d'autant plus appréciable qu'avec la nuit, la pluie et le déluge façon "Riders on the storm" se sont abattus sur la ville. Et dire que le matin c'était plein soleil !

21 juillet
Le lundi, au soleil c'est quelque chose qu'on aura jamais. Les Russes sont au poil. Avec leurs engins ils nous font un cortège jusqu'à la sortie de la ville. Une dose d'effusion et de nouveau la joie de l'asphalte. Arrêt dans un kolkhoze désaffecté. Nous nous installons dans une immense étable. Bonjour l'odeur ! En outre des pigeons mécontents nous font comprendre que nous sommes des intrus... Mais un toit sur la tête, ça ne se refuse pas. Et puis là au moins, l'ambiance est soviétique. On est loin du cliché «Easy rider» !

22 juillet
Une belle journée dans des décors champêtres. Nostalgie du monde rural : les paysans s'activent autour des meules, les corbeaux (où les corneilles) attendent un Van Gogh sibérien. De plus, pour nous, les trous sur la route sont à minima. Nous croisons pas mal de confrères sides montés bizarrement.

23 juillet
Quand ils se sont arrêtés à Irbit, nous avons eu froid dans le dos. Quoi, ils vont nous tromper avec des imitations ! Gare aux représailles quand nous aurons la main. Pendant qu'ils visitons l'usine Oural, nous avons droit à l'attroupement réglementaire.

Dommage que la traduction simultanée n'existe pas car les Russes sont étonnés par notre allure et notre nationalité. Nos zèbres se sont fait invités le soir au restaurant et décident de passer la nuit à l'Hôtel de la Victoire, à deux pas de l'Allée des combattants illustres que domine la statue sévère du maréchal Joukov. Drôle d'idée de mettre un hôtel prés de la cité du 9 mai 45... Nous n'avons pas à nous plaindre car nous allons passer la nuit à l'intérieur de l'usine, dans l'atelier, en compagnie des collègues montées pour l'exportation. Notre préférence va au modèle de l'armée (un joli camouflage) mais nous sommes installées à coté du modèle tout blanc (encore un qui passe sa vie au Karcher !).

24 juillet
La route est longue, longue, longue. Repos avant Ekaterinbourg. La nature est extraordinaire. Même en étant machine, on en n'est pas moins sensible : la couleur Lila des saponaires, le rouge garance des roses trémières sous un ciel sans nuage, les champs noyés de bouleaux morts, quel beau spectacle du monde !

25 juillet
Halte à Ekaterinbourg.

Des effigies monumentales de Lénine côtoient les cendres des Romanoff reposant dans une immense basilique orthodoxe. C'est la période des mariages et les mariées nous trouvent à leurs goûts.

Moralité, les femmes nous aiment bien, nous les motos ! Nous rentrerions bien dans un cinéma voir Terminator 3 en version russe pour 18 roubles : après tout c'est un film pour les machines !

26 juillet
Sur la route... de Kazan. Comme nous sommes des motos cinéphiles, une pensée au cinéaste d'"A l'est d'Eden" s'impose, surtout que les jeunes employés communaux munis de faux pour nettoyer le bord des routes et coiffés de casquettes Nike ont des allures de James Dean.

27 juillet
T'es comme l'oiseau... Notre parapentiste favori l'a fait. Sur ce petit plateau de la steppe, il a sorti son matériel et V'la le vent ! Après, le quatuor a fait un arrêt "Piva" (le nom de la bière ici). Ne pas oublier le cérémonial Tchut-Tchud : se tapoter avec le pouce et le majeur la carotide pour indiquer que la gorge est sèche. Auparavant un contrôle de routine par la police locale qui arrête plus par curiosité que par besoin de pénaliser.

28 juillet
Nous tournons comme des horloges, ce qui épate nos quatre compagnons de route au point qu'ils s'en extasient. Au moins, la conversation varie ! D'habitude, elle tourne autour de la nourriture qui n'est guère variée, des toilettes qui sont en règle générale sommaires et de la quantité de moustiques abattus. En fin de journée, c'est l'hécatombe ! Nous tombons sur un village désert qui ressemble à une ville fantôme américaine. Pour l'occasion, l'aventurier du Vercors met le foulard de sa bien aimée façon bandana autour de la tête : il a le charme de Johnny Hallyday dans la vidéo "Rouler vers l'Ouest", avec un petit coté Willie Nelson pour évaluer avec sagesse les problèmes causés par le sable.

29 juillet
Enfin de la piste ! Et encore du sable ! Si nous n'étions pas attelées, ce serait un coup à envoyer nos motards à terre. Sous la pluie ou en hiver, comment font les autochtones ? Apparemment, ils se déplacent à pied...

30 juillet
Avez-vous déjà dormi dans une église désaffectée ? Nous c'est fait. Comme notre équipe est bien éduquée, nous n'avons pas laissé la moindre tache d'huile, tout nettoyé en repartant et refermé la porte derrière nous. Un détail : les moustiques restaient à l'extérieur.

31 juillet
Dans la banlieue de Moscou, grande halte pour se faire propres. Dans la station de lavage après un déshabillage complet, un bon Karcher vous rend votre classe naturelle de R 12. Certains poussent même le zèle jusqu'à nettoyer les rayons. Nous rutilons au soleil et ça épate les passants qui viennent discuter. L'une d'entre nous a un problème d'axe à la roue arrière, légèrement voilé à cause de l'état de certains tronçons de route. Heureusement que nos experts ont prévu le coup. Vidange, bougies neuves, la vie est belle. En partant, le gérant et son équipe refusent d'être payés. Ces Slaves, quelle classe, surtout que durant la grande lessive certains parmi nous n'ont pas craché sur la vodka qui était offerte !

1er août
Arrivée dans Moscou. Comme ça nous titille de rouler sur la Place Rouge, on s'aventure mais les voitures de police nous rappellent à l'ordre. Sans rancune et avec bonne humeur, les policiers moscovites acceptent de se laisser photographier avec nous devant le Kremlin et Sainte Basile. Ensuite il faut réparer une fuite de réservoir. Cette pose mécanique permet aux humains de jouer les touristes dans la zone piétonne environnante. La brèche colmatée, nous prenons la température de la ville. Toutes les églises ont leurs clochers rutilants. Quel contraste avec les vestiges soviétiques ! Une visite de politesse à Frédérique qui nous a obtenu les visas. Elle nous trouve aussi une chambre d'hôte et un garage. Moscou est immense. Comme les Moscovites vivent la nuit, nous prenons la température de cette ville étrange avant d'aller nous coucher.

2 août
En bons adeptes de Bécaud, nous fêtons la séparation avec les Marseillais au Café Pouchkine. Le personnel de cet établissement select est surpris par notre arrivée mais nous laisse stationner devant le prestigieux restaurant. Ouf, ils ressortent après l'apéritif pour manger des patates chaudes garnies à l'échoppe du coin ! Pour des motos, c'est préférable à l'attente de ces repas qui s'éternisent. La séparation se fait devant l'immense affiche BMW de la rue principale. Bon, on rentre mais c'est pour mieux repartir : après tout, nous n'avons que ça à penser, nous les motos qui avons l'âge de la retraite !

(Voyage, reportage et photos : Eric DUMAS, Jean-Pierre BOUGEROL et Bernarsd FRANCHI sauf indications )

 

Les copains affligés, les copines en pleurs
La boîte à dominos enfouie sous les fleurs
Tout le monde équipé de sa tenue de deuil
La farce était bien bonne et valait le coup d'œil

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
L'enterrement paraissait officiel. Bravo!

Le mort ne chantait pas : "Ah ! c'qu'on s'emmerde ici !"
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci
Et les bonshomm's chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus "Saint-Eloi bande encor !"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo !

Ce n'étaient pas du tout des filles en tutu
Avec des fess's à claque et des chapeaux pointus
Les commères choisies pour les cordons du poêle
Et nul ne leur criait: "A poil ! A poil ! A poil !"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo !

Le curé n'avait pas un goupillon factice
Un de ces goupillons en forme de phallus
Et quand il y alla de ses de profondis
L'enfant de chœur répliqua pas morpionibus

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le curé venait pas de Camaret. Bravo !

On descendit la bière et je fus bien déçu
La blague maintenant frisait le mauvais goût
Car le mort se laissa jeter la terr' dessus
Sans lever le couvercle en s'écriant "Coucou !"

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le cercueil n'était pas à double fond. Bravo !

Quand tout fut consommé, je leur ai dit : "Messieurs
Allons faire à présent la tournée des boxons !"
Mais ils m'ont regardé avec de pauvres yeux
Puis ils m'ont embrassé d'une étrange façon

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo !

Quand je suis ressorti de ce champ de navets
L'ombre de l'ici-gît pas à pas me suivait
Une petite croix de trois fois rien du tout
Faisant, à elle seul', de l'ombre un peu partout

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Les revenants s'en mêlaient à leur tour. Bravo !

J'ai compris ma méprise un petit peu plus tard
Quand, allumant ma pipe avec le faire-part
J'm'aperçus que mon nom, comm' celui d'un bourgeois
Occupait sur la liste une place de choix

Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
J'étais le plus proch' parent du défunt. Bravo !

Adieu ! les faux tibias, les crânes de carton
Plus de marche funèbre au son des mirlitons
Au grand bal des quat'z'arts nous n'irons plus danser
Les vrais enterrements viennent de commencer

Nous n'irons plus danser au grand bal des quat'z'arts
Viens, pépère, on va se ranger des corbillards

Georges Brassens

 

Don de Jean-paul C.

 

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