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La Légende du Dnepr Eternel
Tout a commencé par une très tardive soirée hivernale...
A l'époque il m'arrivait fréquemment, par plaisir, par amitié, par recherche d'un peu de chaleur, ou bien tout simplement pour tromper mon ennui, d'aligner les kilomètres au guidon de mon attelage BMW. C'était une bonne machine, fruit d'une aventure technologique plus que cinquantenaire, mais pourtant résolument moderne, avec juste ce qu'il fallait de plastique et d'électronique pour en faire un instrument fiable et agréable, dont on était certain qu'il allait toujours vous ramener de là où il vous avait porté...
Certes, l'adjonction du panier – étant souvent seul – n'était pas réellement indispensable, c'était une coquetterie dont j'aimais le coté "old fashion", cet aspect désuet qui pouvait faire croire la machine plus ancienne qu'elle n'était réellement.
Sans compter qu'il évitait la tentation de la vitesse et des haut régimes, imposant une allure "bonhomme", souple et à l'ancienne, qui, ma foi, révélait des charmes bien supérieurs à ceux de l'adrénaline. Et puis on pouvait toujours y caser du matériel de camping, des bouteilles pour les copains, ou bien - parfois - une aimable compagne...
D'ailleurs les badauds ne s'y trompaient pas, comme tous les attelages il attirait les regards, sympathiques ou curieux, et même, souvent, des saluts. Combien de fois ai-je vu des adultes, penchés à coté d'enfants, leur montrer comment faire coucou à l'étrange machine à trois roues !
Le side-car attire la sympathie, du coup, on n'a pas envie, ni de mal se conduire, ni de mal le conduire.
Au fil des années j'avais tissé avec cette machine des liens un peu particuliers : elle me rendait en service sans histoire le peu d'entretien sans complication que je lui donnais... et comme deux amis construisant ensemble une relation de confiance réciproque, nous savions que, quoiqu'il arrive, il y en aurait toujours un pour ramener l'autre à la maison...
Pour cette raison donc, lors de cette fameuse nuit, de retour d'une soirée festive à Monboudif (Cantal), je choisi les solitudes glacées du plateau du Cézallier pour regagner la bonne ville d'Issoire. On utilise souvent le terme de "lunaire" pour décrire cette contrée montagneuse qu'une érosion millénaire a façonné en une vaste succession de collines pelées, où siège une végétation rase, domaine de la gentiane et des tourbières.
Comparaison d'autant plus judicieuse que cette nuit là, justement, était de pleine lune. La lumière laiteuse dispensée par l'astre sélénite baignait le paysage d'une clarté quasi-diurne et pourtant sans ombre. Malgré l'air froid, très froid, il s'agissait bien là d'un de ces moments chers à tout motard, où le ronronnement de la mécanique docile ne fait que rendre plus dense encore le silence ambiant, ainsi que le sentiment d'être le bénéficiaire privilégié d'une atmosphère unique.
Privilégié mais apparemment pas seul, car soudain, au sortir d'un virage je vis une masse sombre en travers de la route ! Dans ces cas là, on n'a pas le temps de réfléchir ! Le cerveau, plus rapide que tout commande aussitôt un freinage appuyé...
Evidemment les trois roues pardonnèrent aisément ce réflexe intempestif, et après un léger dérapage, ce fut un jeu d'enfant que d'amener mon attelage, sur son élan, au coté de l'obstacle.

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Lequel se révéla être d'une curieuse nature, à la fois familière et étrange... Mais bien sûr ! Au moins pour la disposition générale, on y reconnaissait aisément une moto et son panier, il s'agissait tout simplement d'un attelage présentant une vague ressemblance avec le mien...
Pour le reste, tout y semblait d'une facture non seulement désuète, mais fortement marquée par le temps et ses outrages. Je délaissais donc mon propre véhicule pour faire le tour de l'antiquité. Rien n'y semblait en bon état, la peinture terne et maculée de traînées crasseuses ne masquait même pas, par endroits, le métal souffreteux. De nombreuses cloques, des boursouflures crevées par où s'épanchait la rouille laissaient comprendre que dans leur combat contre le temps, le châssis et les chromes étaient à deux doigts de perdre définitivement le combat, victimes d'une oxydation généralisée.
La motorisation, elle-même souffrait de cette corruption blanchâtre et pulvérulente spécifique aux antiques alliages d'aluminium, et n'était qu'un patchwork de coulures de fluides divers que j'identifiais dans la pénombre : huile, graisse, carburant... crasse !
Aucun des caoutchoucs présents : poignées, selles (il y en avait deux, selon une très ancienne mode), Durits n'était exempt de crevasses et de délitement, jusqu'aux pneumatiques qui en plus laissaient entrevoir, à défaut de sculpture, le tramage des nappes textiles internes.
Bref il s'agissait d'une épave d'origine inconnue, inidentifiable, et certainement pas roulante...
...Sauf qu'une forte odeur d'essence s'en dégageait, et que le moteur laissait entendre les petits cliquetis métalliques propres aux mécaniques en cours de refroidissement...
Un rapide contact de la paume sur une culasse et les pneus confirma le diagnostic : aussi incroyable que cela puisse paraître, quelqu'un roulait avec ça et s'était arrêté il y a peu de temps...
Mais qui ? Car j'avais beau scruter les fourrés alentours, je n'en voyais sortir nul motard soulagé...
Tout à mon inspection dubitative, j'avais délaissé mon propre véhicule. Et lorsque j'y reportais les yeux j'eus un bref moment de saisissement : je n'étais pas seul !
Près de ma machine, et dans une posture curieusement similaire à la mienne, un personnage accroupi passait, lui aussi, une revue de détail. Casqué d'un "jet" au front duquel un paire de Climax jetait de brefs éclairs, ganté, chaussé de gros souliers et vêtu de noir, j'avais devant moi un "homo-motardus" surgit du fond des âges, qui n'avait en rien cédé à ce que le progrès vestimentaire offrait de mieux aux rouleurs d'aujourd'hui. Vraisemblablement c'était là le propriétaire de l'antiquité.
Bien qu'à l'évidence il fut conscient de ma présence, il n'interrompit point son inspection pendant de longues minutes, s'attachant à chaque détail, hochant parfois la tête en signe d'assentiment, ou bien faisant une moue dubitative, comme s'il n'avait jamais rien vu de plus récent que sa propre machine.
Je me risquait d'abord à un petit raclement de semelle pour signaler ma présence, puis un "hum ?" avant de finir sur un explicite "bonsoir !" sans plus de succès. C'était vexant, mais quelque chose d'étrange dans le personnage empêchait de s'offusquer de cette impolitesse, qu'inexplicablement je ressentais comme faisant partie de son caractère, mais dépourvue d'une quelconque animosité.
Finalement l'homme se releva, révélant une forte stature et dirigea vers moi un visage mangé de barbe, ainsi qu'un regard trop direct, lui aussi à la limite de l'impolitesse s'il n'y avait eu dans ces yeux là une espèce d'éclat halluciné...
Inexplicablement je me sentais comme coupable d'une intrusion et cherchait un quelconque moyen de justifier ma présence :
- Tout va bien ?
- Vous avez un problème ?
- Vous êtes en panne d'essence ?
Pas de réponse...
Me frôlant, il se dirigea vers sa machine, qu'il enjamba d'un mouvement souple, puis il me fixa et déclara d'une voix curieusement douce, comme exténuée de fatigue :
- Non, je n'ai pas besoin d'essence
Ensuite, d'un coup de jarret vigoureux il démarra son engin, et par dessus le staccato pétaradant de la mécanique antique, tout en regardant la BMW d'un air de regret il dit d'une voix infiniment lasse que j'entendis à peine :
- Je m'appelle Vincent.
Et enclenchant une vitesse dans un craquement sonore, il donna un violent coup de gaz, la machine bondit en avant, et dans un épais nuage de fumée se perdit bientôt dans l'obscurité, tous feux éteints...
?????
Resté seul, dans le silence revenu, il me fallut quelques minutes avant de reprendre mes esprits... Quelle étrange rencontre ! Quel étrange personnage ! C'est pensivement que je me remis en route.
Sitôt passé le col du Fromental, la route virevolte jusqu'au village de Madriat. Sur la place, la devanture éclairée m'informant que l'unique commerce ("Chez Pepette", débit de boissons, restaurant, bureau de tabac, épicerie) n'avait point encore fermé sa porte, je m'adjugeais un remontant thermiquement et émotivement bien nécessaire.
Dans le bar quelques "anciens", finissant la soirée, parurent satisfaits de l'imprévu que consistait mon entrée... je n'osais décevoir leur attente et tout en commandant un café, conformément aux règles élémentaires de la politesse, je lançais l'amorce d'une discussion :
- Brrr fait froid dehors !
- Ca, dame, c'est l'hiver
- Vous venez de loin comme ça ?
- De Monboudif
- Hé bé, vous êtes un réchauffé vous, en moto par ce temps !
- Oh, vous savez, c'est une question d'habitude (dans ces cas-là, on fait souvent le modeste...), et puis je suis pas le seul, j'ai rencontré un gars, là-haut, sur le plateau...
- ...
- ...un nommé Vincent avec une drôle de machine...
- ...
- ...c'est quelqu'un d'ici ?
- ...
Je pris soudain conscience qu'autour de moi le silence s'était subitement appesanti, comme cristallisé par la seule évocation de mon étrange rencontre.
Et l'écho de mes dernières paroles n'était pas éteint que j'eus le sentiment d'avoir proféré une incongruité...
En moins de temps qu'il n'en faut pour finir une partie de cartes, vider son verre et payer... Ils avaient déjà fait tout ça et vidé les lieux en m'évitant comme si j'étais le cavalier putrificateur de l'Apocalypse...
"Et bien dites donc" dis-je à la jeune patronne qui semblait également surprise... "Ils n'ont pas l'air de beaucoup l'apprécier, le Vincent !"
"Personne n'apprécie le Vincent" entendis-je dans mon dos...
Je me retournais : un des clients, resté attablé dans un coin, me regardait fixement... puis après quelques secondes, il eut l'ébauche d'un geste que j'interprétais comme une invitation à m'asseoir à sa table.
La curiosité, aiguillonnée, est bien souvent une maîtresse décisive... C'est donc sans hésiter que je me dirigeais vers lui, emportant ma tasse, et demandant à la patronne de "remettre la même chose" à mon hôte ("la même chose", qui fut suivie de quelques autres, s'avérât être un distillat de plantes du terroir, plus connu sous le nom de "p'tite verveine").
En attendant le service, quelques secondes de silence me permirent de détailler mon vis-à-vis, un vieillard tremblotant, cacochyme, au cheveu rare, mais avec dans le regard un éclair de vivacité surprenant...
- Ainsi vous avez rencontré le Vincent ?
- Oui, mais on dirait bien que ça ne plaît pas à tout le monde
- ...ça... forcément...
(Il devint évident que c'était là le prélude à une bonne histoire, je ne dis rien et me calais plus confortablement sur ma chaise, dans l'attente de la suite).
- ...c'est une curieuse histoire, très ancienne...
"Il y a bien longtemps d'aujourd'hui, dans ce village même, est arrivé un garçon, le Vincent donc, venu d'on ne sait où - certains ont parlé de Bretagne - mais on n'en sait pas plus. Comme le faisaient souvent les "journaliers" à cette époque, il trouva à s'embaucher dans les exploitations agricoles et hameaux alentours. Valet de ferme, gardien de bétail, jardinier... tout lui était bon du moment qu'il y trouvait à manger et quelques piécettes à gagner.
Mais en quelques semaines il devint évident que son vrai talent c'était les machines. Toutes. Qu'elles soient grosses ou petites, de la montre à la moissonneuse, de la bicyclette à l'automobile en passant par la machine à coudre récalcitrante, elles trouvaient sous ses doigts d'or une seconde jeunesse, voire renaissaient à la vie...
Une intervention en appelant une autre, sa réputation dépassa rapidement les limites de la contrée et bientôt, il s'installa dans le vieux moulin abandonné près de la couze. La cour en fut bientôt emplie de véhicules et reliques diverses en attente de son intervention, tandis que l'atelier résonnait de bruissements d'outils et machines diverses... Ça, il en avait du travail ! Surtout qu'ici rien ne se jette, on garde tout, et quand bien même une mécanique est cassée, on la remise dans un coin avec l'espoir qu'un jour un aléatoire revirement en permettra la valorisation !
Du travail tant et plus ! Oui !
Hélas cette médaille dorée avait un revers bien sombre. Sombre, et même noir comme l'âme amorale de Vincent. Effectivement, il trouva bientôt à s'acoquiner, d'abord pour son travail mais aussi pour ses loisirs, avec un mauvais garçon, natif d'Ambert et plus connu sous le nom de "Mitch d'enfer" car il avait un temps exercé son métier de ferrailleur près de Thiers, dans la vallée de la Dore, au lieu-dit "Le Creux de l'Enfer".
Dés le labeur fini, ils enfourchaient leurs bruyantes motocyclettes pour aller courir les bistrots, les comices, les bals, les fêtes patronales, bref, à l'exception des églises, tous les endroits où pouvait virevolter un bout de jupon... Car en plus du génie mécanique, ces deux-là étaient possédés par le démon amoureux, c'étaient des séducteurs effrénés prêts à tout pour conquérir un cœur... Sans foi et sans respect, toute manœuvre leur était bonne si elle était susceptible de faire tomber une nouvelle conquête.
Et ils avaient du succès ! Car ils savaient s'y prendre et on ne comptait plus les victimes à leur "tableau de chasse". Inutile d'ajouter qu'ils n'y mettaient qu'une passion de collectionneurs et que sitôt la proie conquise ils s'en désintéressaient pour une autre victime. Rien n'était sacré à leurs yeux et on ne saura jamais combien de femmes honnêtes et de jeunes filles innocentes furent prises dans leurs filets.
On sait toutefois qu'ils furent la cause de bien des scandales, de bien des couples brisés, de familles déshonorées... sans parler de choses plus terribles encore...
Notre pays en perdit la paix, Vincent y gagna le surnom de "Terrible"... Et l'inimitié de nombre des hommes de la région. Sans que cela nuise pour autant à leur affaires tant était indispensable leur activité professionnelle.

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Or il advint qu'un jour un Hollandais de passage eut une avarie avec une curieuse machine alors qu'il traversait la région. Pressé par le temps, il la remisa chez Vincent-le-Terrible et se fit rapatrier chez lui.
Il s'agissait d'une moto, attelée d'un étrange panier, le tout de facture inhabituelle. Pour autant qu'on le sache ce véhicule provenait d'un pays bien lointain, au delà de l'Europe, c'était un Dnepr.
Les mois passèrent sans qu'on n'ait plus de nouvelles du Hollandais. Vincent était comme magnétisé par cet engin, on sentait bien qu'il brûlait d'envie de se confronter à cette pièce de mécanique, et dès que le délai qu'il estimait légal fut écoulé, il s'attaqua à la machine.
Il fut effectivement impossible de la faire démarrer, sans pourtant qu'une raison en soit évidente, aussi après quelques tentatives il procéda au démontage de la mécanique, à une rénovation complète suivie d'un remontage soigneux...
...sans succès ! Il rouvrit le moteur pour essayer de comprendre, bricola quelques temps, et ses efforts, cette fois, furent couronnés de succès ! Après un démarrage au quart de tour, il put enfin rouler dans le village, jusqu'au bout de la route... où tout s'arrêta ! Et les auscultations et coups de kick n'y firent rien, il revint en jurant... et en poussant !
Ceci ne fit que préfigurer un cycle qui allait durer des semaines : démontage, remontage, essai, panne. Inlassablement, pour une raison ou pour une autre cette maudite mécanique refusait de fournir plus d'énergie que celle nécessaire au parcours de quelques dizaines de mètres...
Sous l'œil des badauds réjouis, combien de fois Vincent, trempé de sueur, est-il revenu en poussant le damné appareil !
C'est que ces prestations publiques donnèrent lieu à moult conversations, et même à des paris !
Piqué au vif dans son honneur de mécanicien, délaissant son métier, Vincent ne se consacra bientôt plus qu'à cette unique activité démontage-remontage-essai infructueux... les semaines passèrent, il en perdit l'appétit, la santé, et sa carcasse robuste, seule, lui permit de subsister à ce régime...
Pâle, have, les yeux brillants de folie, il ne se consacra plus qu'à cette unique tâche et si on le voyait parfois mener la moto dans la rue on pouvait être sûr qu'après quelques mètres parcourus, il rentrerait jurant et pestant dans son atelier dont il fermerait la porte à double tour pour plusieurs jours.
Bien sûr au détriment de sa clientèle qui, de toute façon, avait de moins en moins envie de faire appel à ce fou monomaniaque !
Mitch d'Enfer essayait bien de le raisonner, mais allez faire entendre sagesse à un entêté délirant ! Rien n'y fit et Vincent sombra dans une folie hallucinée.
Hors, un soir d'orage, alors qu'ils discutaient encore des réticences de la machine, Vincent, clama son entêtement, et que "Dusse t'il damner son âme et pourrir en enfer jusqu'à la fin des temps, il serait plus fort que cette foutue machine et parviendrait enfin à la faire fonctionner"...
Il y a des choses avec lesquelles on ne joue pas, et certains mystères qui nous dépassent méritent le respect...
Paroles fatidiques ! Sur l'instant même un épouvantable craquement ébranla la baraque et le Mitch sombra dans l'inconscience."

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"Il s'éveilla alors que des villageois secourables le retiraient des décombres du moulin sur lequel s'était abattue la foudre. La bâtisse fendue, au toit crevé, était noircie d'un bout à l'autre et c'était même miracle que parmi les gravats et les machines détruites on y retrouva âme qui vive...
Mais une seule âme...
Car de Vincent-le-Terrible on ne retrouva rien, ni d'ailleurs de sa maudite machine.
Mitch d'Enfer vida les lieux et retourna s'établir en son Forez Natal... Le moulin abandonné et ses ferrailles rouillées fut bientôt colonisé par une végétation luxuriante, et tout redevint presque comme avant..."
"Et Vincent ?" demandais-je après quelques secondes de silence.
"Vincent... Et bien c'est à partir de cette époque, que lors des nuits de pleine-lune, on commença à entendre aux alentours des pétarades, des vrombissements qui duraient du soir au matin...
Certains disent même avoir croisé un homme noir chevauchant une terrible machine. Je ne l'ai jamais vu de mes yeux, mais..."
Un silence passa...
"...mais je crois qu'il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. Pour le prix de sa damnation éternelle Vincent a enfin trouvé le secret du Dnepr. Croyez moi, plus jamais cette foutue machine ne tombera en panne et elle tournera jusqu'à la fin des temps...
...de même que l'âme damnée de Vincent-le-Terrible qui ne connaîtra plus le repos !
Je suppose que votre motocyclette l'a intéressé, il n'a jamais pu résister à l'attrait d'une mécanique inconnue, et c'est certainement pour cette raison qu'il s'est arrêté..."
Puis il vida le reste de son verre sans ensuite reprendre la parole, le récit était terminé.
- Curieuse histoire ! Mais vous me faites marcher... C'est un conte que vous servez à tous les clients de passage !
- Tiens-donc ! Vous êtes bien présomptueux jeune homme, et du haut de vos quelques années vous croyez déjà tout connaître. C'est de votre âge. Mais lorsque vous aurez vécu autant que moi, en même temps que du blanc aux cheveux, s'il vous en reste, vous aurez peut-être gagné un peu de déférence pour les choses inconnues, et vous constaterez qu'elles ne sont pas forcément telles qu'on voudrait qu'elles soient..."
Et après un temps il ajouta :
- ...aussi vrai qu'on m'appelle Mitch d'Enfer.

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Lors cette parodie d'un récit de littérature fantastique, façon 19eme siècle, j'avais demandé à un ami de me donner son avis...
...et ça donne :
Le casque et la plume
Critique littéraire par Dick Bollocks

...c'est pas trop mal, les dessins sont bien, mais bon, faut que je trouve quelque chose à dire !
Etant moi-même un artiste frustré, je devrais faire un bon critique, non ? Gnéhéhé.

Tout d’abord je propose :


UNE VARIANTE !!!

Le narrateur est motard, il a un attelage, mais pas genre "instrument fiable et agréable". Il est même avéré que "l'adjonction du panier était réellement indispensable" pour pouvoir emporter les pièces de rechange, les outils et tout le bordel indispensable pour avoir une chance que l’engin puisse "vous ramener de là où il vous avait – péniblement – porté". J’en profite pour signaler un léger abus d’ – aparté dans le texte - , gnéhéhé. (Toute critique perfide sera soulignée ici par un gnéhéhé).
Voici donc notre héros tailladant la route en cette froide nuit de pleine lune sur le plateau du Cézallier. Il sort du virage, aperçoit la masse sombre, freine en urgence, coupe le moteur, regarde l’étrange machine, pareil, ça tu peux le garder, cadeau, gnéhéhé.
Sauf que là, ne voyant personne, il décide quand même de repartir. Mais là, le premier coup de kick se traduit par un PROUT et une émission de fumée des plus inquiétants. Pas moyen de démarrer !
"Pas de souci, j’ai l’habitude" se dit Philipp... euh... le narrateur en commençant son inspection. Il tâte la mécanique, sort un peu de bordel du panier, essaie deux-trois trucs... Mais rien n’y fait !
Plus de doute, c’est une panne de psychopathe (du style le joint de culasse est oxydé, le piston est resté coincé en bas du V, le bordel s’est cassé, à toi de voir, moi j’y connais que dalle).
Il commence à avoir les jetons, vu qu’il est tout seul la nuit dans un coin désert, sans téléphone portable en plus, a coté de cette étrange épave encore chaude qui fout la pétoche.
C’est là qu’il s’aperçoit que le type spectral est assis sur une borne pas loin de lui. Depuis combien de temps le regarde t’il s’acharner sur son bordel avec ce petit sourire énigmatico-moqueur sur les lèvres, l’air de dire : "T’as vraiment une moto de merde, le Parigot" ?
Leurs regards se croisent, pas un mot n’est dit, et voilà le gars qui se lève et se penche sur le moteur de notre infortuné héros. Comme dans ton texte original – que je m’escrime à rendre potable – aparté dans l’aparté – gnéhéhé – il y a quelque chose dans l’aura de l’homme qui empêche notre héros de s’offusquer ni même de dire le moindre truc.
Ayant à peine farfouillé dans le bordel, l’étrange personnage prend un air entendu et sort une espèce de petit bordel insignifiant du panier de son étrange machine. Il l’applique alors sur le bordel du narrateur suivant des modalités que je te laisserai le soin de préciser, vu que je vais pas me taper non plus tout le boulot – Amandine, s’il te plaît, papa travaille.
Vincent se tourne alors vers Philippe – "l’étrange personnage" et "le narrateur", ça va bien, hein - et lui fait comprendre avec force gestes que c’est bon tu peux y aller (alternance d’index pointé sur la moto et de pouce levé). Il enfourche alors son épave et s’en va.
Philippe est dubitatif, mais bon, il tente quand même le coup. Et au premier coup de kick, ça se met à tourner, comme jamais ça n’avait tourné. Sur la route, il ressent quand même un petit malaise dû aux sensations nouvelles qu’il éprouve sur sa machine...
Pour se remettre de ses émotions il s’arrête chez Pépette et raconte son étrange histoire...tout pareil que dans ton texte. Mais je te propose d’ajouter une conclusion qui va élever ton honnête production au rang de chef d’œuvre de l’angoisse gnéhéhé.

" Dans les mois qui ont suivi, j’ai fait quelques virées avec mon attelage. Il n’est jamais tombé en panne. J’ai essayé de toucher quelques réglages, de bricoler un peu, j’ai même par deux fois totalement démonté le bordel de façon volontairement négligente, mais rien n’y a fait. A chaque fois, au remontage, chaque pièce semblait me revenir naturellement dans les mains pour retrouver sa place d’origine, et le moteur de ronronner comme un félin maudit."

(Il devient alors évident pour le lecteur avisé que le Vincent a vendu son âme au fiable. Tiens, celle-là, tu pourras la ressortir à tes collègues qui ont monté un moteur BMW dans leur Oural)

"Aujourd’hui je ne sors plus. Mon attelage est remisé au fond de l’atelier. Et lorsque je m’y rends pour aller chercher une bière, j’ai l’impression qu’il me regarde..."


*** FIN ***

P.S. : Bon, variante ou pas, cette nouvelle est promise à un franc succès. Il est même fort probable que le cinéma te rachète les droits. C’est pourquoi, avant publication, tu te dois d’être prêt, et à cette fin je te propose donc...

...DEUX SUITES POSSIBLES !!!


1 - à l’Américaine

En sortant de l’auberge, le héros est surpris de voir débouler plusieurs hélicoptères de transport de troupes sur le site. Il en sort des chars d’assaut, des jeeps, des hélicoptères Apache. C’est le FBI et la CIA qui, en collaboration avec la NASA et le NASDAQ, viennent boucler le périmètre à l’aide d’un bataillon de GIs des Marines de la Navy Seals.
Le narrateur est un scientifique écolo au bon cœur qui œuvre pour le bien de la planète : autant dire qu’il voit d’un mauvais œil l’apparition de l’armée. D’autant plus qu’à la tête des troupes, il reconnaît le colonel Norris, cruel mercenaire au service du gouvernement à qui il a déjà eu affaire en Irak, en Corée, au Vietnam et à Verdun.
Il découvre assez vite leurs intentions : capturer le spectre Vincent pour expérimenter de nouvelles armes de destruction massive et créer des soldats surhommes surfiables. Il entreprend bien entendu de sauver cet être indispensable à l’écosystème pour qui il éprouve une certaine compassion.
Après quelques poursuites durant lesquelles Vincent évite les missiles tirés depuis les hélicoptères et les tanks, le motard est finalement capturé dans un filet de pêche à grosses mailles. Il en chiale.
C’est alors que notre héros parvient, grâce à la complicité d’une jeune ingénieur de la Nasa qui s’avère être son ex-femme qui l’avait quitté pour pouvoir faire carrière et qu’il a finalement pu convaincre de rejoindre sa juste cause -bref- il parvient à faire monter le Vincent dans la coiffe d’une fusée Saturn qu’ils détournent à destination de sa planète d’origine (en fait c’est un extraterrestre).
IMPORTANT : à l’annonce du succès de la mise en orbite, ne pas oublier la scène de liesse dans la salle de contrôle.

2 - à la Grangé

Notre héros comprend que le Mitch lui cache quelque chose et qu’en fait derrière son récit se cache un vaste complot occulte. Il décide d’enquêter. Ça il sait faire, vu que c’est un ex-flic mis à l’écart à cause de ses méthodes expéditives pas vraiment poétiquement correctes.
Son enquête le mène à un vieux cimetière auprès de la tombe occulte et abandonnée du spectre à la moto. Un étrange inscription occulte l’intrigue : "Cent-vingt Gissi". Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?...
Ayant déjà mis un doigt dans l’occulte, il ne peut s’arrêter en si bon chemin.
Il suit cette piste jusqu’à infiltrer une étrange organisation occulte franc-maçonnique aux objectifs aussi sombres qu’occultes et secrets. Il parvient à s’emparer du livre des clés de cryptage de l’organisation – le Da Vincent Code – qui lui permet de déchiffrer l’étrange épitaphe codée suivant un cryptage occulte et sophistiqué (en l’occurrence le verlan).
Il comprend alors enfin les motifs occultes de pourquoi étant bébé il a été échangé avec un autre nourrisson et qu’en fait, Vincent c’est lui, Mitch est l’assassin du président Kennedy, et le Prezzz est réfugié à poil sur une île dans le triangle des Bermudes...

"Le Dnepr Eternel", texte & dessins : PhiZo
"Le Casque et la Plume", texte : Dick Bollocks©
la photo de bureau provient de http://histoireparis8.canalblog.com/

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